«Tous frères» – la dernière lettre encyclique du pape François

Quels sont les grands idéaux mais aussi les voies concrètement réalisables pour ceux qui veulent construire un monde plus juste et fraternel dans leurs relations quotidiennes, en société, en politique, dans les institutions ? Avec cette encyclique, signée le 3 octobre 2020, à Assise, à l’occasion de la veillée de la fête de saint François, le Pape entend rappeler que nous sommes «tous frères». C’est une «encyclique sociale» à la manière des «Admonitions» que saint François a utilisé “pour s’adresser à tous ses frères et sœurs et leur offrir une forme de vie à la saveur de l’Évangile”.

Les problèmes mondiaux nécessitent des actions mondiales, non à la «culture des murs»

Dans le premier chapitre, «les ombres d’un monde clos», le document se concentre sur les nombreuses distorsions de l’époque contemporaine: la manipulation et la déformation de concepts tels que la démocratie, la liberté, la justice; la perte du sens du social et de l’histoire; égoïsme et indifférence pour le bien commun; la prédominance d’une logique de marché basée sur le profit et une culture du jetable; chômage, racisme, pauvreté; l’inégalité des droits et ses aberrations telles que l’esclavage, la traite, les femmes soumises puis forcées d’avorter, le trafic d’organes (10-24), tous les problèmes mondiaux qui nécessitent une action mondiale, souligne le Pape, tirant la sonnette d’alarme aussi contre une «culture des murs» qui favorise la prolifération des mafias, alimentées par la peur et la solitude (27-28). De plus, il y a aujourd’hui une dégradation de l’éthique (29) à laquelle contribuent, d’une certaine manière, les mass media qui détruisent le respect de l’autre et éliminent toute modestie, créant des cercles virtuels isolés et autoréférentiels, dans lesquels la liberté est une illusion et le dialogue n’est pas constructif (42-50).

L’amour construit des ponts : l’exemple du bon samaritain

L’amour construit des ponts et nous «sommes faits pour l’amour» (88), ajoute le Pape, exhortant notamment les chrétiens à reconnaître le Christ face à tous les exclus (85). Le principe de la capacité d’aimer selon «une dimension universelle» (83) est également repris dans le troisième chapitre, «Penser et générer un monde ouvert» : en lui, François nous exhorte à «sortir de nous-mêmes» pour trouver dans les autres «un croissance de l’être »(88), s’ouvrir au prochain selon le dynamisme de la charité qui nous fait tendre vers la« communion universelle »(95). Fondamentalement, la stature spirituelle de la vie humaine se définit par l’amour qui “est toujours en premier lieu” et nous conduit à rechercher le meilleur pour la vie de l’autre, loin de tout égoïsme (92-93).

Les droits n’ont pas de frontières, une éthique des relations internationales est nécessaire

Une société fraternelle sera donc celle qui promeut l’éducation au dialogue pour vaincre «le virus de l’individualisme radical» (105) et permettre à chacun de donner le meilleur de lui-même. A commencer par la protection de la famille et le respect de sa «mission éducative première et essentielle» (114). Le Pape propose deux «outils» pour réaliser ce type de société : la bienveillance, c’est-à-dire le désir concret du bien de l’autre (112), et la solidarité qui prend soin des fragilités et s’exprime au service des personnes et non des idéologies, lutte contre la pauvreté et les inégalités (115). Dans cette perspective, le Pontife rappelle aussi de penser à «une éthique des relations internationales» (126), car chaque pays appartient à l’étranger et les biens du territoire ne peuvent être niés à ceux qui en ont besoin et proviennent d’un autre endroit. . Le droit naturel à la propriété privée sera donc secondaire au principe de la destination universelle des biens créés (120). L’encyclique met également un accent particulier sur la question de la dette extérieure : sans préjudice du principe qu’elle doit être payée, on espère néanmoins que cela ne compromettra pas la croissance et la subsistance des pays les plus pauvres (126).

Migrants : une gouvernance mondiale pour des projets à long terme

En revanche, le deuxième et tout le quatrième chapitre sont en partie consacrés au thème de la migration, «un cœur ouvert sur le monde entier»: avec leurs «vies déchirées» (37), fuyant les guerres, les persécutions, les catastrophes naturelles, trafiquants sans scrupules, arrachés à leurs communautés d’origine, les migrants doivent être accueillis, protégés, promus et intégrés. Plus précisément, le Pape indique quelques «réponses indispensables» notamment pour ceux qui fuient les «graves crises humanitaires» : augmenter et simplifier l’octroi des visas ; ouvrir des couloirs humanitaires ; assurer le logement, la sécurité et les services essentiels ; offrir des opportunités d’emploi et de formation ; encourager le regroupement familial ; protéger les mineurs ; garantir la liberté religieuse et promouvoir l’inclusion sociale.

Le Pape invite aussi à établir, dans la société, le concept de «pleine citoyenneté», en renonçant à l’usage discriminatoire du terme «minorités» (129-131). Ce qu’il faut avant tout, c’est une gouvernance mondiale, une collaboration internationale pour la migration qui lance des projets à long terme, au-delà des urgences uniques (132), au nom d’un développement solidaire de tous les peuples basé sur le principe de la gratuité. De cette manière, les pays pourront penser comme «une famille humaine» (139-141). L’autre différent de nous est un don et un enrichissement pour tous, écrit François, car les différences représentent une possibilité de croissance (133-135). Une culture saine est une culture d’accueil qui sait s’ouvrir aux autres, sans renoncer à elle-même, en leur offrant quelque chose d’authentique. Comme dans un polyèdre, le tout est plus que les parties individuelles, mais chacune d’elles est respectée dans sa valeur (145-146).

La politique, l’une des formes les plus précieuses de la charité

Le pape François critique le «populisme» qui ignore la légitimité de la notion de «peuple», attirant le consensus pour l’exploiter à son service et fomentant l’égoïsme pour accroître sa popularité (159). La meilleure politique est celle qui protège le travail, «dimension indispensable de la vie sociale» et cherche à faire en sorte que chacun ait la possibilité de développer ses capacités (162). La meilleure aide pour les pauvres, explique le Pontife, n’est pas seulement l’argent, qui est un remède temporaire, mais aussi pour lui permettre une vie digne par le travail.

En outre, la tâche de la politique est de trouver une solution à tout ce qui attaque les droits fondamentaux de l’homme, comme l’exclusion sociale ; trafic d’organes, de tissus, d’armes et de drogues ; exploitation sexuelle ; travail d’esclave ; terrorisme et crime organisé. L’appel du Pape à éliminer définitivement le trafic humain qui est la «honte pour l’humanité» et la faim, car c’est «criminel» parce que la nourriture est «un droit inaliénable» (188-189).

Le marché seul ne résout pas tout. Une réforme de l’ONU est nécessaire

«Le marché seul ne résout pas tout» : les «massacres» provoqués par les spéculations financières l’ont démontré (168). Ainsi, les mouvements populaires revêtent une importance particulière : véritables «poètes sociaux» et «torrents d’énergie morale», ils doivent être impliqués dans la participation sociale, politique et économique, mais soumis à une plus grande coordination.

Dans tout cela, la tâche des Nations Unies doit être de donner corps au concept de «famille des nations» en œuvrant pour le bien commun, l’élimination de la pauvreté et la protection des droits de l’homme. Recourant sans relâche à «la négociation, aux bons offices et à l’arbitrage» – affirme le document pontifical – l’ONU doit promouvoir la force du droit par rapport au droit de la force, en favorisant les accords multilatéraux qui protègent mieux même les États les plus faibles (173-175 ).

Le miracle de la gentillesse

Du sixième chapitre, «dialogue et amitié sociale», le concept de vie émerge aussi comme “l’art de la rencontre” avec tous, même avec les périphéries du monde et avec les peuples d’origine, car “quelque chose s’apprend de tout le monde et personne ne l’est inutile »(215).

L’appel du Pape au “miracle de la bonté” est particulier, une attitude à récupérer car c’est “une étoile dans les ténèbres” et une “libération de la cruauté, de l’angoisse et de l’urgence distraite” qui prévalent à l’époque contemporaine. Une personne gentille, écrit François, crée une saine coexistence et ouvre la voie où l’exaspération détruit les ponts (222-224).

L’artisanat de la paix et l’importance du pardon

Dans le septième chapitre, «Chemins d’une nouvelle rencontre», le Pape souligne que la paix est liée à la vérité, à la justice et à la miséricorde. Loin du désir de vengeance, il est «proactif» et vise à former une société basée sur le service aux autres et sur la recherche de la réconciliation et du développement mutuel (227-229). Dans une société, chacun doit se sentir «chez soi». Pour cette raison, la paix est un «métier» qui implique et concerne tout le monde et dans lequel chacun doit faire sa part.

Le pardon est lié à la paix : il faut aimer tout le monde, sans exception – lit l’encyclique – mais aimer un oppresseur signifie l’aider à changer et ne pas lui permettre de continuer à opprimer son prochain. Au contraire : ceux qui souffrent d’injustice doivent défendre vigoureusement leurs droits afin de sauvegarder leur dignité, don de Dieu (241-242).

Plus de guerre, l’échec de l’humanité !

Une partie du septième chapitre se concentre alors sur la guerre : ce n’est pas “un fantôme du passé”, mais “une menace constante” et représente le “déni de tous les droits”, “l’échec de la politique et de l’humanité” , “L’abandon honteux aux forces du mal” et leur “abîme”. De plus, en raison des armes nucléaires, chimiques et biologiques qui affectent de nombreux civils innocents, aujourd’hui nous ne pouvons plus penser, comme par le passé, à une possible “guerre juste”, mais nous devons réaffirmer fermement “plus jamais la guerre !”. Et considérant que nous vivons “une troisième guerre mondiale en morceaux”, car tous les conflits sont interconnectés, l’élimination totale des armes nucléaires est “un impératif moral et humanitaire”.

Au contraire, avec l’argent investi dans l’armement, un Fonds mondial est créé pour éliminer la faim (255-262).

La peine de mort est inadmissible, abolissez-la partout dans le monde

La peine de mort est inadmissible et doit être abolie dans le monde entier. «Le meurtrier ne perd pas sa dignité personnelle – écrit le Pape – Dieu est son garant». D’où deux exhortations: à ne pas considérer la punition comme une vengeance, mais comme faisant partie d’un processus de guérison et de réinsertion sociale, et à améliorer les conditions des prisons, tout en respectant la dignité humaine des détenus, considérant également que l’emprisonnement à perpétuité «une peine de mort cachée » (263-269). La nécessité de respecter «le caractère sacré de la vie» (283) est réaffirmée là où aujourd’hui «certaines parties de l’humanité semblent épuisables», comme les enfants à naître, les pauvres, les handicapés, les personnes âgées (18).

Garantir la liberté religieuse, un droit humain fondamental

Dans le huitième et dernier chapitre, le Pontife s’attarde sur «les religions au service de la fraternité dans le monde» et rappelle que la violence n’a pas de fondement dans les convictions religieuses, mais dans leurs déformations. Les actes “hideux” tels que les actes de terrorisme ne sont donc pas dus à la religion, mais à des interprétations erronées de textes religieux, ainsi qu’à des politiques de faim, de pauvreté, d’injustice, d’oppression. Le terrorisme ne doit être soutenu ni avec de l’argent, ni avec des armes, ni avec une couverture médiatique car il s’agit d’un crime international contre la sécurité et la paix mondiales et en tant que tel, il doit être condamné (282-283). Dans le même temps, le Pape souligne qu’une voie de paix entre les religions est possible et qu’il est donc nécessaire de garantir la liberté religieuse, un droit humain fondamental pour tous les croyants (279).

L’encyclique réfléchit, en particulier, sur le rôle de l’Église : elle ne relègue pas sa mission au secteur privé, elle n’est pas en marge de la société et, sans s’engager dans la politique, elle n’abandonne pas la dimension politique de l’existence. L’attention au bien commun et le souci du développement humain intégral, en effet, concernent l’humanité et tout ce qui est humain concerne l’Église, selon les principes évangéliques (276-278).

Enfin, rappelant aux chefs religieux leur rôle d’«authentiques médiateurs» qui se consacrent à la construction de la paix, François cite le «Document sur la fraternité humaine pour la paix et la coexistence dans le monde», qu’il a lui-même signé le 4 février 2019 à Abu Dhabi. , avec le Grand Imam d’Al-Azhar, Ahmad Al-Tayyib: à partir de ce jalon du dialogue interreligieux, le Pontife reprend l’appel pour que, au nom de la fraternité humaine, le dialogue soit adopté comme voie, la collaboration commune comme conduite et la connaissance mutuelle comme méthode et critère (285).

Bienheureux Charles de Foucauld, «le frère universel»

L’encyclique se termine par la mémoire de Martin Luther King, Desmond Tutu, Mahatma Gandhi et surtout du bienheureux Charles de Foucauld, modèle de tout ce que signifie s’identifier au moindre pour devenir «le frère universel» (286-287) . Les dernières lignes du document sont confiées à deux prières : l’une «au Créateur» et l’autre «Chrétien œcuménique», afin qu’un «esprit de frères» loge dans le cœur des hommes.

 

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